PREFACE ANDRE FLAMENT

TOUT EST SCULPTURE,

 

Le vol de l’oiseau dans l’air, la fuite du poisson dans l’eau, le moindre geste, voire le moindre sourire de l’homme, le roc immuable et la mer éternelle, l’arbre caressé par le vent ou violemment troussé par la tempête, tout ce qui existe, immobile ou non, est sculpture, sculpture permanente ou passagère et le rôle du sculpteur est d’arrêter et de saisir, dans l’espace et dans le temps, le moment qui s’en va et faire d’un passé un présent et un futur.

C’est assez dire que n’est pas sculpteur qui veut et que représenter ou Suggérer un objet, un être réel ou imaginaire et lui donner une place dans le vide n’est pas à la portée du premier venu. Et j’imagine les doutes, les craintes et les appréhensions qui ont assailli Amilcar ZANNONI quand Il s’est lancé pour la première fois dans l’Aventure et qu’il a tenté de donner forme à ce qui n’était plus déjà que souvenir dans son esprit ou phantasme dans son cœur.

Cet étrange pouvoir qu’a l’artiste de faire surgir ou resurgir de ce qu’il faut bien appeler le néant une figure connue – j’emploie le mot figure dans son sens le plus géréral – ou totalement inventée et fabriquée de toutes pièces, cet étrange pouvoir créateur qui vous conduit à faire

quelque chose avec rien, ce pouvoir qui permet tout à la fois d’engendrer, d’enfanter et d’accoucher, ZANNONI le possède au plus haut point et j’oserai dire depuis toujours puisqu’il n’a jamais reçu le moindre enseignement, fréquenté la moindre école ni la moindre chapelle et qu’il n’est venu à la sculpture qu’à la suite d’un lent travail souterrain dont il n’a même pas

eu conscience.
S’éveiller un beau matin artiste et plus précisément sculpteur sans que rien ni personne ne vous aient influencé ou indiqué la route, voilà ce qui 
est arrivé à ZANNONI , voilà ce dont –parce qu’il est un véritable artiste et, par conséquent, en voyant – il ne s’est aucunement étonné.

Mais, s’étonne-t-il de grand chose ? On ne peut douter à voir ce regard perçant à demi caché sous des sourcils en broussaille, ce menton volontaire et comme taillé dans la pierre, ces mains nerveuses et avides de toujours appréhender.

Et tout d’abord, cette étrange rencontre du nom et du prénom : ZANNONI , typiquement et spécifiquement italien, Amilcar, l’ennemi héréditaire, l’adversaire de la première guerre punique, le père d’Anibal qui fit un jour jurer à son fils une haine éternelle à l’égard des Romains.

Les siècles ont passé, ensevelissant sous le sable de l’oubli, en même temps que le souvenir des luttes anciennes, les inimitiés et les rancunes et ZANNONI peut, aujourd’hui, mêler allègrement Rome et Carthage dans la signature qu’il appose sur ses sculptures.
Et, puisque le mot est lâché, parlons maintenant de ses sculptures et tentons de trouver les termes les plus exacts, et, en même temps, les plus nuancés pour exprimer les sentiments qu’elles nous inspirent.

 

Avant tout le matériau.

Renonçant au bronze orgueilleux et, parfois même, vaniteux, ZANNONI a choisi le plus humble, presque le lus commun, ce métal gris bleuâtre, ductile et malléable que l’on appelle le fer.

Il est vrai que, pendant des années, ZANNONI l’a employé, pour gagner sa vie, à des fins industrielles et qu’il s’en est fait un ami au point de le considérer aujourd’hui comme le seul susceptible de traduire ses rêves d’artiste.

En ce qui me  concerne,  je suis d’accord avec lui et je crois que, de tous les métaux que l’on utilise actuellement pour en tirer des sculptures, le fer est celui qui s’accommode le mieux des ombres et des lumières, qui sait allier la légèreté à la force et qui garde, en toutes occasions, la dignité et la discrétion des très vieilles pierres.

Ce que j’écris aujourd’hui, les pensées que j’exprime dans ces quelques pages, j’en étais fort éloigné – je dois le dire – la première fois où j’ai vu une œuvre de ZANNONI car le choc que j’avais reçu m’avait laissé pour ainsi dire sans réactions et, à tout le moins, sans aucun désir ni sans aucun besoin d’analyser mes impressions et mes sensations devant le très bizarre

assemblage qu’il avait apporté à Paris, au Musée GALLIERA, pour le présenter à notre Exposition dont le thème était, cette année là, « La Vie des Choses ».

Le titre, en premier lieu, paraissait pour le moins surprenant : « Outil pour changer le temps ». Quant à l’Outil, je renonce d’autant plus à le décrire qu’on verra plus loin une photographie. Et, quand il s’est agi pour moi de l’assortir d’une légende pour le présenter aux lecteurs de notre

catalogue, je me suis souvenu d’une phrase de Victor Hugo qui, à mon sens, le décrivait fort bien : « il faut de l’inutile dans le bonheur. Je  veux du superflu, de l’inutile, de l’extravagant, du trop, de ce qui ne sert à rien ».

Près de cinq ans après, le soc, la roue, la manivelle, les dents de la houe, la chaîne, les engrenages et la grêle et longue main nue sont toujours là, ne servant à rien, n’ayant ni sens, ni raison, ni but, incohérents et saugrenus et dégageant cependant des effluves d’une poésie aussi certaine que baroque.

J’avais été séduit – je ne le cache pas et je ne l’ai pas caché à ZANNONI -, par ce que cet « Outil » comportait à la fois de naïveté et de science innée, de gaucherie intellectuelle et d’ érudition sentimentale. Je retrouvais dans chacun de ses éléments comme des souvenirs d’enfant qui n’a pas oublié les jeux de sa dizième année, des rêves d’adolescent qui aspire à s’envoler comme les oiseaux et aussi des certitudes d’adultes qui sait que la terre est

là sous ses pieds et que, tout copte fait, c’est encore le meilleur endroit qu’on ait trouvé pour vivre.

Pour tout dire, la première sculpture de ZANNONI m’avait enchanté mais elle me laissait un peu sur ma faim et j’avais hâte, pour me faire un jugement de valeur, d’en avoir d’autres. En bref, je me comportais avec lui comme à l’égard de ces romanciers dont on a goûté le premier livre mais sur lesquels on n’aura vraiment une opinion que lorsque l’on aura lu le second.

Le second roman de ZANNONI, je l’ai, si j’ose dire, lu un an après. C’était sa sculpture de notre Exposition « La Rue » – Trois grands personnages dont un couple déambulent dans la rue, porteurs de leurs rêves et de leurs phantasmes pendant que d’autres, plus petits, semblent à la recherche d’une sorte de Paradis perdu, ce qui justifie le titre donné par l’artiste

A son œuvre :

« …ils ont la rue pour communion. Ils ont la solitude pour rue… »

La communion et la solitude, ce sont là des thèmes chers à ZANNONI. On sent que, lui aussi, se pose les éternelles questions : « Qui ? Pourquoi ? comment ? », qu’il les pèse et les soupèse et qu’il tente de leur apporter des réponses.

Ce n’est pas un philosophe mais c’est un homme qui réfléchit et qui nous fait part de ses pensées par le truchement de ses sculptures.

Oh ! les problèmes qu’il nous expose n’ont aucune prétention. Ils ne visent pas à lancer une doctrine nouvelle, ils ne constituent pas un « message » pour employer un mot d’aujourd’hui, ils sont tout simplement des aspects de notre vie quotidienne et, du reste, les titres sont là pour montrer et démontrer que ZANNONI n’a pas l’intention d’aller au-delà des évènements,

heureux ou malheureux, de la vie de tous les jours.

« Méditation », « Silence de l’Amour », « Vivre quand même », « Trouble », « Théâtre de la Vie », voilà bien des circonstances que nous avons vécues, que nous vivons ou que nous vivrons, des sentiments et des sensations que nous avons éprouvées, que nous éprouvons ou que nous éprouverons.  

Et qui ne découvrirait par là-même l’immense amour que ZANNONI porte a l’homme, « son semblable, son frère » et aussi l’immense pitié que celui-ci lui inspire ?

J’oserai dire que toute la sculpture de l’artiste est une sorte d’hymne où sont chantés tour à tour les grandeurs et les servitudes de l’homme, ses qualités et ses défauts, ses joies et ses peines.

Et c’est bien parce qu’il est plein de miséricordes et de charité envers son prochain et qu’il en connaît la fragilité que ZANNONI ne nous offrira jamais les femmes plantureuses de Maillol ni les hommes musculeux de Bourdelle, mais des êtres un peu asexués, minces, sveltes, élancés,

presque grêles, et qui montrent par là-même leur faiblesse et leur force originelles.

Devant les sculptures de ZANNONI, devant ce fer robuste et sonore et ces membres et ces torses délicats et vulnérables, je me suis souvent répété ces deux vers de Vigny dans « La mort du loup » : « Hélas§, ai-je pensé, malgré ce grand nom d’Homme, Que j’ai honte  de nous, débiles que nous sommes ! »  

ZANNONI a honte, sans doute, de notre débilité mais, en même temps, Il est attiré par elle car il sait bien que c’est la marque ineffaçable sous laquelle  nous sommes inscrits dans le catalogue d’un Univers qui n’est peut-être pas fait pour nous.

Et c’est pourquoi, il se plaît à accentuer dans ses sculptures notre précaire et périssable condition.

Oui, c’est bien parce qu’il sait que tout périra un jour, même le fer, qu’il donne à ses sujets une sorte d’ineffable grâce, un aspect en quelque manière vaporeux et léger, comme s’il était bien entendu, dès le début, qu’ils ne font que passer et que, malgré le métal dont ils sont faits, ils sont éphémères comme les jours.

Et, quand on a bien compris que, même si le « buste survit à la Cité, ainsi que le disait Théophile Gautier, ni la Cité, ni lui ne survivent pas au temps qui passe.

Le métal comme la pierre et la chair comme le métal, arrachés de la poussière, redeviendront un jour poussière puis, après des siècles et des siècles, seront de nouveau métal, pierre et chair.

Vais-je trop loin et ne suis-je pas tenté d’attribuer à ZANNONI des pensées et des réflexions qui sont, d’abord, les miennes et dont j’aimerais qu’il les partage ?

Franchement, je ne le crois pas.

Je tiens ZANNONI pour un pur et les purs, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ne s’en laissent pas si facilement conter.

Seulement, comme tous les purs, il ne se hausse pas jusqu’à des problèmes d’excessif intellectualisme et il limite aux seules certitudes terrestres les sujets de ses sculptures. Mais il y ajoute une petite note sentimentale, un parfum de poésie et de chanson populaires, un soupçon de candeur paysanne qui en font, en quelque sorte, des personnages de légende, des acteurs de scènes fabuleuses, imaginaires ou mythiques.

Mais la sculpture – j’entends la vraie sculpture, c’est-à-dire celle qui va au-delà de l’exacte représentation plastique, celle  qui  déforme, transforme, amplifie le sujet pour mieux le livrer à notre imagination et nous faire participer à tous les stades mystérieux de la création artistique -, cette sculpture là n’est-elle pas, elle-même, un mythe ?

ZANNONI a bien raison de vouloir nous démontrer que les mythes de jadis, ceux de Don Juan, de Faust, de Napoléon, s’ils existent encore n’ont pas pour autant empêché la création de mythes nouveaux dont notre époque n’est pas, avouons-le, sans avoir le plus grand besoin.

Et c’est peut-être pour cela surtout que j’apprécie et que j’aime ces sculptures.

Elles sont intemporelles et mystérieuses, faciles à lire et, en même temps, par certains côtés, peu aisément déchiffrables. Elles forcent l’attention et nous obligent à un effort de réflexion extrêmement bénéfique. Elles sont légères de formes et lourdes de sens. Elles sont la grâce et elles sont la force. Elles sont celles qu’auraient pu faire nos aïeux quand ils ont

découvert le fer et celles que devraient bien faire beaucoup de nos artistes d’aujourd’hui en mal d’originalité.

Puisse Amilcar ZANNONI  continuer à marcher longtemps sur le chemin qu’il a choisi. Il peut être certain que nous serons nombreux à le suivre.

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